Abandonnons cette perspective heureusement lointaine et reprenons pied sur la scène. Une oeuvre dramatique, conçue selon les visées réalistes, est uniquement une oeuvre dont l’idéal est moins général et moins élevé, et que son infériorité seule rapproche des données de la réalité courante et journalière. Tour à tour, entre les représentations d’une pièce moderne qui doit garder l’affiche pendant trois ou quatre mois, chaque sociétaire reprend la tunique d’Hippolyte ou les rubans verts d’Alceste, reforme son corps, son attitude, sa démarche, ses gestes à la sévérité sculpturale de l’antique ou à l’aisance aristocratique du grand siècle, et accorde de nouveau son oreille aux harmonies du vers de Racine ou aux larges mouvements aisément cadencés de la prose de Molière. Les hommes se sont visiblement fatigués; les premiers acteurs ont été remplacés par d’autres, qui se sont eux-mêmes lassés, ce dont je suis bien loin de leur faire un crime; mais les actrices qui avaient créé les rôles les ont conservés sans interruption jusqu’à la fin, et non seulement elles ont résisté à la tentation de grossir des effets faciles à exagérer, mais encore elles ont eu le mérite peu commun de nous conserver jusque dans les dernières représentations la perfection de jeu et de diction qu’elles avaient atteinte dès les premières.